Programme juin 2024

Télécharger le programme

Mikel Urquiza

Pentimenti (2020)

Pentimenti est un concerto pour percussions et orchestre composé en 2020 par Mikel Urquiza, jeune compositeur né en 1988 à Bilbao en Espagne. Pentimento signifie repentir en italien. En peinture, ce sont les corrections faites par l’artiste sur sa création. En faisant des modifications successives, le peintre annule son idée précédente en la recouvrant d’une nouvelle couche de peinture, et la couche sous-jacente, qui exprimait son intention antérieure, devient invisible. Velasquez et les grands maîtres de la peinture hollandaise, flamande, espagnole et italienne ont laissé des Pentimenti, des « repentirs »… Pentimenti interroge sur la notion d’artisanat à l’ère du numérique et sur le caractère fluctuant de l’œuvre d’art.

Ce concerto plutôt court – 10 minutes – dévoile toute une panoplie de percussions rarement entendues en concert, et permet un voyage sonore résolument original. Le dernier mouvement, « La Tempête », sonnera familier aux oreilles du public, avec une succession de références à des pièces mondialement connues du répertoire classique, dont Les Quatre Saisons de Vivaldi, la symphonie Pastorale de Beethoven, le concerto pour clarinette de Mozart, et la sonate « Le Printemps » de Beethoven.

Ludwig van Beethoven

Symphonie °3 op. 55, dite « Héroique » (1804)

L’Héroïque, c’est beaucoup de choses… une aspiration urgente à la liberté à l’époque où presque toute l’Europe est soumise au joug monarchique, un voyage métaphysique douloureux à travers la vie et la mort, une entrée fracassante dans la période romantique qui n’oublie pas de saluer au passage Mozart, Haydn, ni d’annoncer Schubert, une originalité de forme inédite : le premier mouvement à lui seul est presque aussi long que la totalité de plusieurs symphonies classiques de l’époque, et enfin d’extraordinaires constructions contrapuntiques qui permettent de définitivement asseoir la « patte » beethovenienne dans l’histoire de la musique.

Quand Beethoven apprend que Napoléon Bonaparte vient d’être couronné par le pape et sacré empereur à vie, il devient furieux et raye rageusement la dédicace à Bonaparte écrite sur la partition de sa 3e symphonie. Bonaparte représentait pour Beethoven une incarnation de ses idéaux universalistes de liberté véhiculés par la Révolution française et par les travaux des philosophes des lumières. Cette dédicace effacée, sorte de « pentimento », nous dit que le sous-texte politique de cette 3e symphonie est pressant et obsède Beethoven. De toute cette symphonie émane la croyance de Beethoven en la force révolutionnaire du peuple et sa tension vers un désir de liberté non seulement pour lui, mais pour tous les humains, c’est-à-dire universel. Ses deux accords initiaux en forme de bravade, avant l’introduction du thème principal par les violoncelles, montrent une radicalité du discours musical encore jamais entendue auparavant. L’Héroïque, c’est aussi une symphonie qui fait autant parler le JE, la subjectivité du compositeur, ouvrant tout un chapitre de l’écriture musicale, le romantisme. Le 1er mouvement nous parle de la lutte, le 2e de la mort, le 3e de la renaissance et le 4e de la glorification.

Le 1er mouvement de l’Héroïque, d’une longueur extravagante, utilise massivement les bois et les cuivres qui énoncent les thèmes principaux. C’est aussi un voyage harmonique avec l’emploi de nombreuses modulations dans des tonalités peu utilisées, sans reculer devant l’usage de dissonances dans le développement qui sont réellement des traits de génie. Amusez-vous, chers auditeurs et chères auditrices, à déceler ces dissonances… révolutionnaires. La superposition des thèmes, la diversité des motifs rythmiques et mélodiques, la coda magistrale qui rappelle tous les thèmes énoncés précédemment sont autant d’innovations d’écriture qui rompent avec la tradition classique et projettent directement la symphonie à l’ère romantique.

Le 2e mouvement est une marche funèbre solennelle inspirée par une marche révolutionnaire française de Gossec, appelée la marche lugubre. À son écoute, on ressent une sensation de profonde tragédie où l’espoir est très marginal, mais subsiste néanmoins en filigrane.

Le 3e mouvement est un scherzo pianissimo (très peu fort) sur le thème de l’espoir en forme de perpetuum mobile. À l’intérieur même de ce mouvement, le trio de cors annonce la renaissance.

Dans le 4e mouvement, les premières mesures sonnent comme un riff de guitare électrique enragé et radical, puis cette boule d’énergie fait place immédiatement à une petite mélodie triviale jouée par les bois et accompagnée par des pizzicati, sorte de moquerie de Beethoven, qui emprunte ici beaucoup à Haydn dans cette trouvaille humoristique. Il s’agit en effet d’une simple ligne de basse privée de sa mélodie (contredanse). Puis ses variations gagnent en texture, en complexité et en dynamique, comme cela se produit dans l’écriture de l’Ode à la joie de la 9e symphonie de Beethoven ou le poignant allegretto de sa 7e. À partir de la section lente « poco andante », on entend les prémices du Beethoven religieux – avec le thème de la prière de remerciement. Cette religiosité n’est pas tant cléricale que tout imprégnée d’une veine panthéiste dans laquelle l’Être suprême est la nature. Le thème de ce finale non seulement rappelle fortement des œuvres précédentes de Beethoven (Douze contredanses, Les Créatures de Prométhée, Variations Eroica), mais préfigure l’écriture harmonique des œuvres ultérieures du compositeur (ses septième et neuvième symphonies), tout en se projetant dans les innovations d’écriture du XXe siècle avec notamment la qualité pré-stravinskienne, façon Sacre du printemps, du staccato des cordes dans le grave après le cataclysme harmonique. Saurez-vous reconnaître ce moment cataclysmique ? Alors que dans les précédentes symphonies des contemporains de Beethoven, le finale était une sympathique conclusion rapide et enjouée, il prend ici une tout autre dimension, c’est une longue série de variations et de fugues, mais surtout un chef d’œuvre d’élaboration et de développement thématique avec deux fugues incroyables : un véritable voyage métaphysique.